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     Un Rêve Américain

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    AuteurMessage
    Jurghen
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    Nombre de messages : 520
    Date d'inscription : 18/01/2007

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    MessageSujet: Un Rêve Américain   Un Rêve Américain Icon_minitime28/11/07, 06:22 pm

    Malgré son imposante musculature, Bobby commençait vraiment à fatiguer.

    « Hé, Patron, je commence salement à fatiguer.
    - Je sais petit, mais après tout : dis-toi que lui aussi, hein ?
    - C’est qu’ça a pas trop l’air, Patron...
    - Ecoute, il fait à peine 10 livres de plus, et il est surtout beaucoup moins agile. C’est du tout cuit.
    - P’t-être, mais il a l’air de s’y connaître mieux que moi, aussi.
    - Bon, gamin, tiens encore deux reprises, et après je jette l’éponge. La plupart des gogos ont parié que tu tiendrais pas 6 rounds. Et si tu tiens, je te fais une rallonge de 15$. Ok ?
    - J’sais pas, m’sieur...
    - Tenir 6 rounds contre le Champion des Docks, à ton age ? Ca serait pas le rêve américain, ça ? »


    Avant que Bobby ne réponde, un grand type sec frappa trois grands coups de barre de fer sur une grosse canalisation en cuivre. Un gong tout à fait adapté à ce genre de rencontre improvisée.

    L’Irlandais était déjà au milieu de ce qui tenait lieu de ring, et il n’y avait pas de place pour la défaite dans ses yeux. Partout des vivats fusaient. Mais sûrement pas pour Bobby, non...

    Bobby avait bien repéré la faiblesse de ce MacAllister, au niveau de son jeu de jambes, mais il ne voyait pas comment l’exploiter. Ce foutu Irlandais était statique comme une cheminée d’usine, mais comme il était au moins aussi résistant, ça n’avançait guère Bobby. Si une chose était sûre, c’est bien qu’il ne tiendrait pas deux reprises de plus à ce train là.

    « Vas-y le Cubain !! » beugla un vieux noir, trapu. Bobby n’était pas autrement content qu’on le traite de Cubain, lui qui était Haïtien, mais l’encouragement lui fit quand même chaud au cœur.

    MacAllister, lui dont la famille était arrivée à Cleveland deux générations plus tôt, ne se formalisait pas qu’on l’appelle encore l’Irlandais. Bien sûr, il aurait préféré qu’on le surnomme le Taureau, ce qui lui aurait semblé plus approprié, attendu que seuls sa tignasse rousse et son goût pour la Guinness pouvait encore le cataloguer comme Irlandais. Par contre, il avait bien plus de points communs avec le fier bovidé. Sa force était renommée des docks de New York jusqu’à ceux de Seattle. Il était connu pour toujours foncer droit devant lui, quitte à écraser un Cubain sur son passage. Enfin, une fois qu’un combat était commencé, plus rien ne pouvait le stopper. Il se sentait infatigable, et il voyait que le jeune noir n’était pas encore un habitué du monde de la boxe. Il le poussait tranquillement sur le ring, le forçant à encaisser ou à rompre. Pour MacAllister, à ce stade, l’histoire paraissait déjà écrite.

    Bobby reculait encore. Il tentait de parer un crochet du droit, mais ne pouvait éviter un direct du gauche. Il avait toujours un temps de retard. Tout semblait devenir indistinct pour lui. A commencer par ses perceptions. C’est à peine s’il entendait encore les cris de la foule, et il ne voyait plus que son adversaire et rien d’autre. Même certains concepts semblaient devenir flous. La défaite, et la victoire, par exemple. Ou encore la valeur de 15$... Son corps semblait devenu une mécanique : parade, feinte, attaque, pas de côté, parade. Et c’est dans cet abrutissement du corps qu’il vit se dessiner le schéma.

    Deux crochets du droit un peu mous, suivi d’un direct du gauche tout en puissance. A chaque fois, que l’Irlandais se plaçait un peu à droite de Bobby, il lui lançait deux petits crochets du droit, et aussitôt derrière un direct du gauche si puissant qu’il en baissait sa garde.

    Une fois qu’il avait vu la faille, Bobby s’engouffra dedans. Il amortit les crochets, esquiva le direct et envoya un uppercut du gauche juste en dessous du menton de son adversaire. MacAllister vacilla sous la puissance du choc, pendant un instant on aurait pu croire que la cheminée d’usine allait s’écrouler... Mais il en fallait plus au Taureau pour s’avouer vaincu. Il avait toutefois senti que le vent tournait. Le malheur pour lui, c’est qu’il n’avait compris ni pourquoi, ni comment le vent avait tourné. En mettant toute sa rage, il se lança sur Bobby – deux crochets suivis d’un direct.

    L’uppercut de Bobby le cueillit littéralement, et l’envoya valser à deux mètres de là. Certains des spectateurs vous diront même que l’Irlandais en était sorti de ses chaussures, mais n’en croyez rien : les dockers sont des menteurs-nés.

    Quand, des heures plus tard, la bande du Grec l’invita à ‘descendre en ville’ – pour reprendre l’expression – , Bobby n’avait aucune raison de refuser : pour une fois, il aurait assez d’argent pour aller au ‘Gantt’ le bar huppé où le Grec avait, dit-on, ses entrées. Assurément, le Grec (lequel était en fait né dans l’Ohio) n’avait rien d’un prêtre. On pouvait d’ailleurs dire qu’il avait quelque chose de sulfureux (quand bien même Bobby ne connaissait pas ce mot là). Mais après tout, quel mal y avait-il à s’encanailler un peu ?

    Le terme ‘huppé’ – que Bobby ne connaissait pas plus – lui aurait semblé bien réducteur. Lui, il aurait dit : Magique. Le lourd velours rouge qui pendait aux fenêtres interdisait jusqu’aux regards indiscrets. Ce qui se passait au ‘Gantt’ n’en sortait pas. A l’intérieur, les chromes y brillaient de mille feux, et l’éclairage y était électrique. Sans doute un lieu de perdition, mais alors un lieu de perdition classe !

    Bobby ne remarqua pas qu’il était le seul ‘homme de couleur’ dans la salle. Enfin pas tout de suite. Il se laissa guider par le Grec dans cette ambiance bruyante et sur-voltée. Il y avait de la musique, mais il était incapable de la reconnaître. Peut-être ‘Wild Cat Blues’, ou bien Duke Ellington et son ‘East St Louis Toodle-o’...

    Il était encore à s’émerveiller de toute cette faune quand le Grec lui lança : « Les petits nouveaux doivent payer leur tourner, le Cubain. Va donc au bar et ramène deux pichets de bière blonde ! »

    Bobby était bien trop heureux de faire partie de ce groupe pour y trouver à redire. Il fit donc ce qu’on attendait de lui. Arrivé devant le zinc, il surprit une sorte d’altercation entre un homme bien habillé, cravate et manchettes, et une femme bien plus jeune et sans doute très jolie – pour une blanche. Elle tentait maladroitement de repousser les avances du business man, en lui sortant les mensonges les plus naïfs (« Mais je vous promets : j’attends mon mari... ») mais le business man devenait toujours plus pressant. Quand Bobby croisa le regard de la donzelle, il y vit celui d’une biche aux abois. Dans ces yeux aussi verts que les siens étaient noirs, il lut de la peur.

    « Pardon, M’sieur. Mais j’crois qu’la dame voudrait qu’vous la laissiez tranquille, s’vous plait » articula-t-il, le plus posément possible.
    « - Si c’est à moi que tu parles, négro, je préfère qu’on règle ça dehors. »

    D’une part, Bobby n’était du genre à avoir peur de se battre, et d’autre part, il se dit que c’était le meilleur moyen pour libérer la pauvre fille de ce malotru.

    Avec quelques heures d’écart, Bobby se trouvait une nouvelle fois au cœur d’une bagarre. Celle-ci, il ne comptait pas la faire durer 5 rounds : il pensait bien l’expédier pour retourner siffler sa bière, après tout, il l’avait bien mérité. Et l’Amérique, on lui avait assez répété, était bien le pays où l’on obtenait ce qu’on méritait.

    Le business man haranguait la foule de sa voix nasillarde, faisant un raffut de tout les diables : il voulait que tout le monde vienne le voir « mettre une correction au négro ». Méticuleusement, il enleva sa veste de jersey, sa cravate et retroussa ses manches. Bobby se demanda comment on pouvait être d’un soin si maniaque, tout en proférant autant d’insanité en même temps. Il y avait là une évidente contradiction.

    Un tel combat, c’était l’enfance de l’art pour Bobby. Il savait que son adversaire, bêtement, aurait une garde haute, il l’attaqua donc à l’abdomen, ce qui plia en deux le goujat. Bobby poussa son avantage par un uppercut avec un peu d’élan, et le combat était écrit.

    Malheureusement pour Bobby, son misérable adversaire échoua dans la vitrine du ‘Gantt’, arrachant jusqu’au velours rouge, dans une époustouflante pluie de cristal.

    « Ca, mon sagouin, ça va te coucher cher » lui lança le tenancier. Il ignorait sans doute à quel point il avait raison.

    Quand les policiers lui passèrent les menottes aux poignets, Bobby était passablement abasourdi. Ce qui le marqua le plus, ce furent les paroles de la jeune femme interrogée par les policiers : « Que voulez-vous, c’est malheureux, mais des gens comme ça ne devraient pas être autorisés à entrer dans des lieux publics... »

    Oui, vraiment, c’était tout à fait ça le Rêve Américain.
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    Un Rêve Américain
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